Ô cieux vides

Adam, adolescent lyonnais, se retrouve dans l’arrière-cour d’une usine un bel après-midi de printemps. Il rencontre Bruno, un « ouvrier » qui prend la pause. Adam est donc le nouvel interprète demandé par la direction. Dans cet endroit si particulier, la venue d’Adam interroge, interpelle, mais cette nuit, c’est une tout autre visite qui inquiète le contremaître et son équipe…

Un court métrage en animation de synthèse mettant en scène une histoire et des personnages inspirés de faits réels. La reproduction, quasi à l’identique, d’un lieu de mémoire aujourd’hui en ruines, témoin d’une des plus grandes tragédies de notre humanité. Une volonté également d’exposer, à travers une « visite guidée » et respectueuse de la mémoire, l’un des rouages de la mécanique meurtrière décidée par l’une des nations les plus évoluées de son époque. Un financement participatif pour accélérer la dernière phase de production et permettre au court métrage une sélection au festival international du film d’animation d’Annecy en juin 2022.

Les « Sonderkommandos», ces «porteurs de secret »

Longtemps accusés de complicité, souvent conspués, placés au cœur d’un système inédit de mise à mort immédiate de centaines de milliers d’êtres humains, les Sonderkommandos ont pourtant été les témoins ultimes du programme de destruction systématique des juifs d’Europe.

Dans les « rouleaux » presque « bibliques » d’écrits enfouis et retrouvés dans les quatre principaux « krematoriums » et les témoignages des rares survivants qui ont pu profiter de la confusion des derniers jours de vie du complexe mortifère d’Auschwitz-Birkenau, on y découvre, sans les fards de la littérature romancée, l’impossible récit de la destruction planifiée, systématique, méthodique de notre humanité.

Au-delà de l’horreur banalisée, les krematoriums et les fosses d’Auschwitz Birkenau sont des lieux qu’aucune exception, aucun geste de mansuétude, aucun « miracle » ne vint jamais troubler la mécanique précise et ultra performante de mise à mort massive. Des bourreaux ordinaires — rarement des monstres, aux victimes et jusqu’aux esclaves travailleurs de l’usine de mort, tous doivent obéir aux « ordres » sans que rien ni personne, ne serait-ce qu’un seul instant, ne puisse entraver le cycle d’abattage routinier. Des ordres jamais explicités, mais que des milliers d’exécutants à tous les échelons de l’idéologie nazie ont parfaitement entendu, compris et accompli avec le sentiment de s’acquitter de leur devoir patriotique.

La mémoire des Sonderkommandos n’appartient qu’à eux seuls : aucun autre prisonnier/déporté ne put entrer en contact avec les membres des « SK » ou « visiter » les lieux tant qu’ils étaient opérationnels : l’accès en était également rigoureusement interdit aux nazis non habilités. En narrer un récit en dehors de cette expérience unique est déjà une trahison ; une trahison cependant nécessaire aujourd’hui et chaque jour qui vient pour mieux comprendre ou tenter de comprendre les  mécanismes à l’origine de cet « anus mundi » auquel les enfers légendaires décrits de l’antiquité jusqu’à nos jours sont loin d’égaler : si l’enfer dans l’ailleurs biblique est bien le repaire des impies, criminels et autres malfaisants, dans les krematoriums et les fosses de Birkenau il est l’ultime châtiment des justes et des innocents.

Court-métrage documentaire et fiction narrative

À travers une reconstitution historique du krematorium N° 2 (N° 3 pour l’administration nazie) et une étude assidue de l’univers de ces « travailleurs spéciaux » visible dans les témoignages des rares survivants qui ont pu et voulu témoigner, j’ai souhaité reconstituer un fait « inédit » de l’histoire tragique des Sonderkommandos tout en préservant les protagonistes et leur mémoire.

L’histoire d’Adam, Bruno, Sacha, « Le contremaître », « le vieil intellectuel » et les autres acteurs de ce court métrage sont les reflets allégoriques de personnages historiques réels. Les « faits » sont tous, sans exception (et sauf pour les besoins du discours narratif), une retranscription personnelle, mais fidèle dans leur essence morale et humaniste, aux récits des seuls témoins.

La volonté également de transmettre la profonde détresse de ces hommes, leur impuissance absolue et quotidienne devant la gigantesque machinerie à fabriquer les morts et cette « conscience » quasi intacte (contrairement aux autres détenus dans l’ailleurs d’Auschwitz, abrutis par la faim, la fatigue, la terreur quotidienne) qui ne fit qu’amplifier ce sentiment de vide moral abyssal, de solitude infinie qui les accompagne et où même la nature environnante, parfois si « bienveillante », semble observer, dans un silence froid et cruel, le spectacle tragique de ces milliers de « mondes engloutis ».

« Pourquoi être si égoïste, lune, toi qui viens avec sadisme les provoquer alors qu’ils sont déjà au bord de la tombe, qui ne te retires pas même lorsque tu les vois faire leurs premiers pas dans l’abîme profond, alors que levant les mains vers toi ils t’envoient leur dernier salut et t’offrent leur ultime regard. — Sais-tu avec quelles souffrances ils descendent alors dans la tombe, après avoir vu ton clair de lune et s’être souvenus de la beauté du monde ? »

Zalmen Gradowski – Au Coeur de l’Enfer – Texto, traduit du Yiddish par Batia Baum

Enfin, puisque le hasard a voulu que je trouve « refuge » à quelques kilomètres de la maison/mémorial des enfants d’Izieu, j’ai tenu à rendre hommage à ces derniers à travers Adam, symbole de l’enfance, d’un « monde » en construction comme le suggérait Zalmen Gradowski auteur du « rouleau » : Des voix sous la cendre. Un monde dont l’arme absolue du nazisme, la haine scientifique, méthodique, quotidienne et populaire a su, sans jamais une seule fois faillir, transformer en néant absolu.

Autarcie créative et moyens hyper low cost

Réalisé en images de synthèse, ce court métrage d’animation bénéficie de toute l’expérience acquise durant ma carrière d’auteur-réalisateur et producteur indépendant. En optant pour des solutions d’animation et de captures faciales « indie » avec l’assistance des dernières technologies logicielles de création 3D (Zbrush, Sketchup, Marvelous Designer, Substance, Reallusion) pour la conception des personnages, des décors, accessoires et costumes ainsi que l’utilisation du moteur de rendus en temps réel d’Unreal Engine 4, j’ai privilégié l’efficacité narrative plutôt que la recherche absolue d’une production quasi parfaite et qui ne peut s’obtenir qu’à travers le concours d’une équipe complète et d’un budget relativement conséquent.

Comme évoqué plus haut, il est difficile de traiter la mémoire à travers une fiction. Tous les musiciens modernes savent qu’une « cover » ne sera jamais fidèle, même au moyen d’un « note -for -note » parfait : la meilleure approche demeure celle du « feeling ». Mieux vaut émuler que singer : c’est une différence d’interprétation émotionnelle. Dans le premier cas, on utilise ses émotions pour tenter d’atteindre ou transcender l’œuvre originale ; dans le second, on fait un travail d’imitation au mieux convaincant, au pire ridicule. Les faits réels et narrés par les protagonistes sont intraduisibles en l’état : trop de paramètres contextuels, physiques, émotionnels sont littéralement impossibles à retranscrire dans une œuvre audiovisuelle : une transcription est donc nécessaire pour créer un instant d’émotion durable.

Le financement participatif est nécessaire afin d’engager les dernières étapes artistiques et techniques externes : comédiens voix off, ingénierie sonore, Mocap spéciaux et certaines externalisations de travaux 3D chronophages. Un budget assez lourd et personnel a déjà été investi dans ce projet filmique notamment dans le matériel et les licences logicielles ainsi que la réalisation des décors d’après les plans originaux. Le temps, qui n’a pas de prix, est également dépensé sans compter. Le choix donc d’une production en presque totale autarcie créative pour des raisons évidentes de « timing », un choix téméraire, que j’ai maintes fois éprouvé, mais qui ne peut s’expliquer que par la compréhension de mon parcours maladroitement résumé plus bas.

à propos de l’auteur

L’auteur : Frédéric Dallo, artiste, musicien, auteur de nouvelles, scénariste et créateur audiovisuel. Né en France, mais installé depuis la fin des années 80 en Afrique orientale. Artiste depuis « l’enfance » et « geek » avant l’heure (premier ordinateur en 1981), j’ai d’abord été graphiste aux balbutiements de l’infographie (1991). Après avoir dirigé une agence autour des métiers des arts graphiques pendant une dizaine d’années et « lassé » (ou blasé) de mes acquis, j’ai « bifurqué » vers ma passion première : la narration filmique à un moment où s’effectuait (2002), certes assez timidement, une sorte de démocratisation des moyens de tournage et de la postproduction.

Durant une vingtaine d’années, dans une zone de haute importance stratégique, j’ai ensuite fondé plusieurs agences de communication et de productions indépendantes. Des clips aux courts métrages publicitaires, des séries de sensibilisation aux documentaires et films institutionnels, j’ai avant tout œuvré pour la satisfaction de prestigieux clients (Nations unies, Union européenne, DP World, Coca-Cola East-Africa, World Bank, GB Foods, USMC, Coopération japonaise, Toyota, Colas, divers ministères étatiques…) aussi bien que pour des clients plus modestes et qui ont bien voulu me laisser une certaine marge créative en contrepartie de budgets moins importants.  

La note finale d’intention, ou l’inaction selon John Mill

L’histoire des Sonderkommandos est à peine visible aujourd’hui et encore méconnu du grand public. Grâce au travail d’historiens, de chercheurs et de documentaristes (on se souviendra de Filip Müller, Richard Glazar, Abraham Bomba dans « Shoah » de Claude Lanzmann) les derniers témoignages ont pu être « arrachés » des mémoires et parfois avec beaucoup de distance créant d’immanquables distorsions ou d’oublis. Comme rappelé plus haut, la majorité des survivants, pendant très longtemps, ont été considérés au mieux comme des « complices », au pire comme des « criminels » au même titre que certains « fonctionnaires/kapos ».

Le « flou » ou plutôt le secret absolu entourant leur fonction, la « connaissance » diffuse et altérée qu’ont rapportée les autres déportés à leur sujet et surtout le « travail » qu’ils effectuaient ont considérablement contribué à les bannir durant une longue période du cercle des rescapés honorables. A travers ce court-métrage, je tente de créer une mise en situation contextuelle la plus approchante d’une réalité qu’on ne pourra jamais reproduire.

Mais je ne suis ni historien, ni chercheur ; je demeure un artiste qui transforme la matière acquise (en l’occurrence l’histoire, le vécu, les témoignages) en une forme émotionnelle vivante et transmissible. Un « objet » qui sera interprétée, ou non, par le plus grand nombre et pourra susciter en lui des émotions, une réflexion.  J’ai longtemps été littéralement « tourmenté » par le livre de Primo Levi « Si c’est un homme ». Sa nature scientifique (Primo Levi était docteur en chimie) lui a permis de sonder et analyser avec une extrême acuité les profondeurs de « l’état du malheur » sans toutefois en toucher le fond. Dès son retour, il se met à écrire, et à la préface de son premier livre édité en 1947, il nous laisse une mise en garde presque intemporelle :

Beaucoup d’entre nous, individus ou peuples, sont à la merci de cette idée, consciente ou inconsciente, que “l’étranger, c’est l’ennemi”. Le plus souvent, cette conviction sommeille dans les esprits, comme une infection latente ; elle ne se manifeste que par des actes isolés, sans lien entre eux, elle ne fonde pas un système. Mais lorsque cela se produit, lorsque le dogme informulé est promu au rang de prémisse majeure d’un syllogisme, alors, au bout de la chaîne logique, il y a le Lager ; c’est-à-dire le produit d’une conception du monde poussée à ses extrêmes conséquences avec une cohérence rigoureuse ; tant que la conception a cours, les conséquences nous menacent. Puisse l’histoire des camps d’extermination retentir pour tous comme un sinistre signal d’alarme. »

Primo Levi — Si c’est un Homme — Giulio Einaudi — Julliard pour la traduction française

« Adam », « Bruno » et les autres victimes de l’univers concentrationnaire nazi ont été les « étrangers » d’une période. Une époque où, sous de fallacieux prétextes sécuritaires, certaines formes de haine latente ont été encouragées pour devenir ensuite, à la faveur d’une élection, d’un changement de régime, totalement institutionnalisées. Notre époque d’aujourd’hui est certes très différente. Par manque d’imagination, de clairvoyance, d’esprit critique ou par paresse intellectuelle, mauvaise foi, indifférence on considère bien souvent l’Histoire à travers une interprétation rétroactive : il est plus facile de se transposer dans le passé en touriste ; sans une véritable mise en situation contextuelle, le regard porté sur les faits passés invoque immédiatement une sorte de super ego qui aurait été capable d’en modifier le cours : « il est clair que si j’avais été présent à cette époque-là, j’aurai agi différemment du reste des gens… »

L’émergence aujourd’hui de concepts idéologiques généralisant et banalisant les discours de haine sous prétexte de liberté n’est pas anodine. Qu’on se rappelle seulement que le programme de destruction systématique des juifs d’Europe ne fut possible que parce que dans la plupart des nations occupées par l’Allemagne nazie, y compris la France, au-delà des efforts entrepris pour la rationaliser et la justifier, la haine envers le fourre-tout du « juif-étranger-cosmopolite-apatride » n’était ni plus ni moins qu’un exutoire politiquement bon marché et moralement opportun aux malheurs du jour.

« Le mal triomphe par l’inaction des hommes de bien » : on attribue souvent cette phrase à Edmond Burke, le philosophe anglais « père du conservatisme moderne » or il s’avère que la fameuse citation est une synthèse empruntée à un autre philosophe anglais, John Stuart Mill, et qui peut, très à propos, clore cette note d’intention :

« Ne laissez personne apaiser sa conscience en lui faisant croire qu’il ne peut faire de mal s’il ne participe pas, et ne donne pas son avis. Les hommes mauvais n’ont besoin de rien de plus pour parvenir à leur fin, que d’hommes bons qui contemplent sans intervenir. »

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The Lovermind
The Lovermindhttps://www.pixel4fiction.com
The Lovermind, musicien, artiste 2D/3D et vidéaste professionnel. Auteur de plus de 300 clips et courts-métrages publicitaires, films documentaires, reportages institutionnels, films d'animation. S'ils sont "plusieurs" dans sa tête, "The Lovermind" travaille souvent seul et maîtrise la plupart des techniques filmiques afin de créer une œuvre en totale autarcie créative. Aux productions avantageuses et très encadrées, l'artiste préfèrera toujours les budgets très limités, mais où la liberté y est plus étendue. Polyvalent, prolifique et très engagé, vivant 30 années sans interruption en Corne de l'Afrique, "The Lovermind" a vécu son retour en France de manière assez violente et avec le constat terrifiant d'une société française profondément divisée à l'ombre d'un changement climatique majeur. Ce "Global Warming", l'auteur a pu en connaître les effets dévastateurs depuis une quinzaine d'années en les observant depuis son pays d'accueil totalement bouleversé par une brusque sécheresse et probablement aujourd'hui irréversible : à travers un mécénat participatif, il souhaite créer des œuvres uniques autour de la société française et du réchauffement climatique.

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