Le gardien d’un hôtel

Göran Ehrlund, inventeur de la membrane triangulaire qui équipe les microphones « Erhlund », a voulu rendre service à un ami en acceptant de gérer son hôtel durant l’hiver. Göran a besoin de se ressourcer afin de parfaire son invention, mais il doit surveiller Daniel, son petit-fils qui profite de ses vacances scolaires et qui fait d’étranges apparitions…

Dans ce court métrage totalement déphasé et réalisé en quelques semaines sans aucun budget sinon du temps, il est question ici de rendre hommage à l’un de mes réalisateurs favoris : Stanley Kubrick, mais pas que… On remarquera dans cette parodie loufoque de Shining, ici et là, quelques emprunts visuels ou de répliques à des scènes que je considère comme « cultes ». Comme dans la plupart des mes créations, un ou plusieurs « crypto-messages » plus sérieux se sont fatalement glissés au milieu d’une sorte de grand foutoir parodique…

Liberté, égalité, fraternité

En revenant de mon long exil est-africain (environ 30 ans…), j’ai retrouvé un pays humainement déchiré, fragmenté en une multitude de représentations culturelles, identitaires, voire ethniques et religieuses. C’est mon constat, forcément, après une si longue absence… Mais on pourra rétorquer que c’est l’évolution, que le phénomène, avec l’avènement des réseaux sociaux et la virtualisation des communautés, s’est amplifié. En quittant le pays en 1989, Internet n’existait pas encore sous sa forme globale, les canaux culturels étaient standardisés, « la version française » des films étrangers étaient automatiques et contrôlées, et la sélection dûment formatée avant diffusion. Aujourd’hui, les diffuseurs culturels ont changé : ce n’est plus l’élite de votre pays qui décidera de votre richesse cognitive et façonnera votre identité, mais la masse globalisée de likeurs qui influencera probablement les choix de vos enfants. Dans cet entonnoir numérique, nos marqueurs identitaires se sont dilués, il ne nous reste pas grand chose de commun à partager et les « niches culturelles » se sont multipliées de manière exponentielle et contribuent à fragmenter plus encore notre société dans sa seule essence nationale : cette devise en forme de quête d’un idéal absolu et inaccessible. C’est probablement, comme évoqué plus haut, l’évolution et chaque génération pourra ressasser sa mélancolie à qui mieux mieux. Ce qui n’a pas changé et ne changera probablement jamais, ce sont les efforts déployés en France à trouver les causes d’un mal être ambiant et persistant chez l’autre… plus ou moins étranger et forcément barbare. À travers Loula, Elodie et Fanny, j’ai voulu représenter les composantes principales d’une nation multiethnique allégoriquement unifiée sur des futilités, profondément divisée sur l’essentiel, mais qui possèdent finalement les clés… ouvrant une bonne ou mauvaise porte.

Les références

Il y a des films : Shining, The Big Lebowski, The Walking Dead, Jean de Florette, Y a-t-il un pilote dans l’avion ?, Poltergeist, Angel Heart… des références musicales à travers les pochettes d’album : Tubular Bells (Mike Oldfield), Made In Japan (Deep Purple), The Song Remains The Same (Led Zeppelin), Abraxas (Santana), Woodstock (Jimi Hendrix), Abbey Road (The Beatles)…

Graphiquement, c’est un emprunt presque total aux décors du film Shining avec cependant quelques éléments intrusifs : la batte de Negan, la clé du Vatican, l’étiquette « Louis Scypher », le n° de chambre 2806, la salle de bain originale « Dudisée », le téléviseur « Poltergeist », les tableaux muraux représentant des légendes du Rock réunies autour d’un supergroupe impossible (Jimi Hendrix, Jack Bruce, John Bonham). Les fillettes sont habillées du même costume que les fameuses « twins » de Grady ; « Daniel » porte les mêmes vêtements qui feront couler beaucoup d’encre (et de métrage) autour d’Apollo 11 et le prétendu « tournage » de Kubrick (dont l’idée conspirationniste donnera même lieu à un film dans les années 70 : Capricorn One) créant une sorte de mise en abyme de sa propre « conspiration ». Göran Ehrlund porte le « beanie » de Cousteau en teinte bleu suédois. Le Commandant Cousteau, dont la figure « documentariste » de mon enfance a longtemps imprégné mon envie de devenir réalisateur.

Pour ma part, le message final qu’il faudra retenir de toutes ces « références » est condensé dans le clin d’oeil (ou le bras d’honneur) à la fameuse affaire « DSK », fait divers sordide, mais qui saura s’élever du caniveau à travers le traitement irrationnel des grands faiseurs d’opinion confusionnelle. Une pénible affaire de mœurs qui prendra rapidement une tournure de lutte épique du puissant contre le faible ou du martyr lynché par la foule populeuse et populace. Des jugements d’émotion d’une servilité grandiloquente se sont fracassés contre des flots de haine mystique supra virulente ; la bataille du tout ou du rien, un sport national, une lutte à mort bien française où la raison n’a plus sa place et où il vaut mieux mourir pour les idées des autres, tant que l’autre aura un semblant de cause à défendre. C’est au final un questionnement philosophique autour des multiples combinaisons de clés ouvrant sur un inconnu aux contours prémonitoires très sombres.

La production

La créativité a un certain prix, celui d’un effort parfois considérable… si l’on veut bien considérer des semaines de travail hyper intensif dans tous les domaines artistiques et techniques relatifs à une production 3D en images de synthèse sans aucun soutien financier et en totale « autarcie ». Il m’aura fallu presque 4 semaines pour venir à bout d’un projet démarré, hormis quelques « assets acquis », en page blanche totale. La documentation, la modélisation des décors, des personnages, des costumes, la mise en texture, les captures de mouvement ainsi que l’éclairage et le rendu final sont loin d’être parfaits, mais ils ont l’avantage d’être parfaitement fonctionnels. Je me considère plus comme un « marionnettiste » en carton pâte plutôt qu’un véritable artiste 3D qui passera 1 semaine à créer un rendu photoréaliste d’un seul visage… De mon expérience de vidéaste et au regard de l’éclatement « démocratique » des contenus audiovisuels, seul aujourd’hui le récit, autrement dit le contenu narratif est le seul élément de fondation stable d’un récit quel qu’en soit le support audiovisuel ou non. Et pourtant, mes pairs et mon entourage connaît mon niveau de « maniaquerie » sur certains détails visuellement inutiles… C’est presque chaque jour une lutte des nerfs entre parfaire un élément jusqu’au bout du réalisme et se contenter d’un ensemble faisant « illusion ».

Sans ces concessions et au grand dam d’un certain perfectionniste technique, aucun de ces projets n’auraient pu voir le jour.

L’hommage à Kubrick

La chambre 237… à qui l’on a voué tout un documentaire et des milliers de pages sur le web, c’est un peu l’épicentre du film qui contient de nombreux décors qui sont autant de scènes cultes. J’avais pu voir « Shining » à sa sortie en salle, j’avais à peine 10 ans et le film était interdit aux moins de 13 ans à l’époque… Un membre de ma famille beaucoup plus âgé m’avait offert le ticket, je connaissais tous les contrôleurs de salle de ma ville et j’ai filé vers celui qui était le plus conciliant ; il fallait surtout dire que j’étais un « gros » client : je ne ratais aucune séance chaque samedi et dimanche. Moins que « The Thing », qui m’avait valu probablement à battre tous les records de vitesse de « rentrée nocturne au domicile familial », Shining m’a surtout impressionné par l’ambiance unique, cet incroyable huis-clos dans un décor labyrinthique au graphisme angoissant sans évoquer l’intégralité des scènes et des dialogues que je considère aujourd’hui chacune comme des œuvres d’art à part entière.

La « scène finale » de ce court métrage qui se déroule dans la salle de bain de la chambre 237 est donc le seul endroit où je tente, rapidement, de rendre hommage au « maître ». Lorsqu’on fouille un peu tout ce qui se raconte autour du film et de son réalisateur, on tombe sur les « dernières » pages du scénario… Une scène finale qui a été tournée, montée… et finalement rejetée par la production.

Dans ce « cut » aujourd’hui disparu car les « rushs » ont été malheureusement détruits, on voyait le directeur de l’hôtel rendre visite à Wendy et Danny tous deux hospitalisés. « Ullman », gérant bienveillant de l’hôtel, venait donc prendre des nouvelles des survivants, regrettait que les « choses » se soit passées ainsi et invitait la mère et son fils à tout oublier et passer du temps dans sa villa au bord de mer, pour effacer à jamais cette triste expérience et qu’il n’était aucunement question pour Wendy de refuser… Ullman prend alors congé, offrant des fleurs à Wendy et se dirige vers la sortie ; à la réception de l’hôpital, il aperçoit Danny qui joue avec une infirmière, Ulmann se tourne vers Danny en lui lançant une balle… la fameuse balle de tennis et disant au jeune garçon : « Tiens Danny, j’ai oublié de te ramener ça… attrape ! »

De cette scène qui aurait pu « détruire » a posteriori le grand final de ce film, on remarquera que Kubrick (qui s’est très volontairement écarté du livre de Stephen King) souhaite offrir une sorte de cliffhanger inutile et racoleur. Ce final non monté est néanmoins intéressant dans le traitement qu’il réserve à cette fameuse balle, celle qui invite Danny à outrepasser l’ordre formel d’entrer dans la chambre 237. On sait que « la vieille folle », comme la surnommait Wendy, a probablement violenté Danny qui revient traumatisé vers sa mère à un moment où celle-ci prend soin du père qui a eu le plus « terrible des cauchemars » : un choix s’impose alors et par là en découle une scission familiale où s’instillera le doute et marquera le point de non retour de la folie de Jack. On pourra gloser des milliers d’heures sur cette scène… chacun aura sa propre lecture et je suis persuadé que Kubrick n’a jamais voulu se faire des « noeuds au cerveau » dans un simple « film d’horreur » de commande qu’il aura, presque machinalement et instinctivement, transformé en véritable chef-d’œuvre.

Dans ma propre lecture, j’y vois une sorte de connivence biblique de la fameuse « pomme de la connaissance » dans l’objet « balle » : cette fameuse connaissance qui apporte aux innocents la terrible réalité d’un monde violent et sans pitié ; quant aux autres, l’interprétation biaisée de cette science ne peut qu’engendrer que des instants de puissance illusoire, un pourrissement progressif de l’âme jusqu’à la folie destructrice.

D’une vision dénudée, sans fard, laide voire affreuse de notre humanité, Danny se protège la face et le regard avec cette balle-pomme qui ouvre les portes du bien et du mal…

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