Le Duke : chronique d’une extinction créative de masse

L’archétype même du machiste bourrin et exterminateur d’aliens : Duke Nukem. Au delà de l’étendard belliqueux et un brin suprémaciste US, Duke Nukem 3D fut surtout une grosse révolution dans le domaine des jeux vidéos : on pouvait voler, courir, nager et surtout interagir et « détruire » pour la première fois un décor jadis immuablement précalculé et statique.

Duke Nukem marque néanmoins la fin progressive d’une ère légendaire : celle des studios de moins de 10 personnes et bien des pixels ont coulé depuis cette aventure ludique singulière… L’époque héroïque des équipes « à taille humaine » qu’elles soient US de 3DRealms ou françaises de Delphine Software est probablement bel et bien révolue. De cette jouabilité très personnelle aux empreintes artistiques uniques s’est répandu une sorte d’énorme magma uniforme, froid et formaté, à l’originalité cuite et recuite, aux concepts sous vide et réchauffés. La forme peut devenir extrêmement immersive voire quasi réaliste, mais l’initiative créative s’en est trouvée grandement bridée : comment pourrait-il en être autrement dans un studio qui égale ou surpasse même les superproductions filmiques hollywoodiennes ?

Si les plateformes comme « Steam » ont pu faire renaître l’ère des micros-studios indépendants, ces derniers sont soumis à une ligne éditoriale restrictive. La réalité virtuelle, longtemps pensée et fantasmée, s’est aujourd’hui presque démocratisée en offrant encore une niche pour des concepts très novateurs et pilotés par des studios de développement très modestes.

A travers cette série « Casting », j’ai voulu recycler le « Duke » dans un forme d’art qui ne lui a jamais réussi : le chant. La musique… une « indiscutable » question de goûts et de couleurs et qui subit, elle aussi, l’intraitable et quasi invulnérable concurrence des « majors » qui, depuis la crise d’Internet et du streaming, ont déserté la solution du « band » indépendant : il est très loin le temps où un groupe envoyait sa « maquette » et, le cas échéant, signait sous un label. C’est l’instant aujourd’hui de la production massive « in house » et souvent artificielle : on ne risque plus sur un « groupe » et surtout pas sur la dangereuse humeur capricieuse des artistes. Autant en créer ex-nihilo et les utiliser (ou les jeter) dans « un rien ne va plus » créatif.

France/USA : je t’aime, moi non plus…

Duke Nukem au chant… pourquoi pas ? Du moment qu’il (et surtout qu’on) s’en donne les moyens même s’il entonne affreusement faux. Une bonne occasion de placer une adaptation très personnelle de « Born To Be Wild » avec un ensemble « vintage » composé de quelques Oberheim OBXa, plusieurs types de Hammond BX3, une basse Rickenbacker et un kit batterie Ludwig. Un casting sous ambivalence, un double sentiment obsessionnel de trouille admirative…

C’est pour finir, la manière dont je définis la relation des Français (dont je fais partie) envers leurs grands voisins outre atlantique ; un je t’aime moi non plus sans cesse renouvelé, une envie de transcender tout cela sans y parvenir par manque de moyens, de force mentale, de foi pratique ou tout simplement par paresse intellectuelle ou sagesse sénile : on peut écrire et imaginer un voyage de la terre à la lune et sommes incapables de créer un collectif unique pour techniquement y parvenir. On moquera facilement l’idéalisme candide américain maintes fois manifesté dans leur super héroïsation fantasmée de la société, et on grave sur tous nos frontispices nationaux une devise cosmiquement irréalisable. On détestera jusqu’à la haine l’arrogance, le suprémacisme guerrier étasunien et nous sommes probablement le peuple le plus belliqueux qui aura, tout au long de son histoire, envahi ou colonisé plus de 90% des terres de cette planète…

Un philosophe spécialiste de la Rome antique, Lucien Jerphagnon, s’était un jour offusqué qu’on tente d’expliquer la chute de l’empire romain : « Comment s’arrangerait-on de nos questions sinon avec des mots. Laissons à de plus avisés – ou à de plus endurants – le plaisir et l’angoisse de continuer la partie. Elle sera sûrement passionnante. Ce que la philosophie offre de meilleur, c’est le doute méthodique, autrement dit la possibilité de prendre un certain recul. Et donc regardons avec intérêt par-dessus l’épaule des joueurs. Ils sont si habiles ! Ils finiront bien par nous expliquer ce qui est arrivé à Rome, ce qui est arrivé à l’Égypte, aux Assyriens, aux Incas, ce qui arrive à tout le monde. Ils nous diront pourquoi on naît et on grandit, pourquoi on vieillit et on meurt. Et nous serons alors bien avancés. »1

1 Histoire de la Rome Antique – Lucien Jerphagnon – Ed Tallandier

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